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Qu’est-ce qu’un actif échoué ?

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Le changement climatique va provoquer une modification de nos modes de vie. Energie, construction, transport, tous les secteurs vont être concernés

Pour une entreprise, il est primordial de réussir à anticiper ces changements pour pouvoir choisir les bons investissements à long terme

Dans cet article, nous vous expliquons comment comprendre la notion d’actif échoué au sein des risques de transition.

L’origine du terme actif échoué

Un actif échoué est plus souvent désigné sous sa traduction anglaise, « stranded asset ». Il est parfois également qualifié d’actif irrécupérable ou d’actif pourri.

Le Stranded asset en comptabilité

Afin de comprendre simplement de quoi il s’agit, il est nécessaire de faire un détour par la comptabilité. Lorsqu’une entreprise investit (dans une machine ou un brevet par exemple), elle comptabilise le prix de cet investissement dans son bilan (il s’agit d’un actif, ou asset en anglais).

Certains de ces investissements vont néanmoins s’user au cours du temps : la machine n’est faite que pour durer un certain nombre d’années et va ensuite cesser de fonctionner tandis que le brevet est valable pour une période de temps déterminée.

On va donc par le biais des écritures comptables « amortir » la valeur de cet actif au fil des années, c’est-à-dire diminuer sa valeur au bilan de l’entreprise. A la fin de la durée choisie d’amortissement, l’actif est considéré comme inutilisable et sans valeur.

Pour donner une image claire du concept d’amortissement, il faut comprendre qu’il s’agit de donner une idée claire de la valeur de l’actif : une machine déjà utilisée va forcément valoir moins cher qu’une machine neuve !

Amortissement, dépréciation et stranded asset

Introduisons un second concept comptable : celui de dépréciation. Reprenons notre machine du paragraphe précédent. Imaginons qu’à cause d’un événement imprévu, la machine soit endommagée et ne puisse plus fonctionner aussi bien ou aussi longtemps qu’avant. 

Il faut refléter ce changement de situation dans sa valeur au bilan : on parle en comptabilité française de dépréciation et non plus d’amortissement. L’amortissement est anticipé sur des années là où la dépréciation est exceptionnelle.

Ce concept de dépréciation est au cœur de la notion d’actif échoué : il s’agit d’un actif qui, de façon inattendue, a été déprécié ou est rendu inutilisable. Il perd subitement sa valeur. 

On parle de stranded asset dans le domaine de l’écologie pour désigner un actif qui, à cause du changement climatique, voit sa valeur réduite à la baisse (ou même réduite à zéro).

Ainsi, dans un contexte d’investissement, un stranded asset représente une perte importante pour l’entreprise. Si cette dernière pensait pouvoir au moment de l’achat utiliser son actif pendant un certain temps, l’actif qui devient « échoué » ne permet plus à l’entreprise d’obtenir le rendement qu’elle en attendait.

Quelles sont les différentes causes qui peuvent conduire à un actif échoué ?

Le concept d’actif échoué n’est ni nouveau, ni forcément lié au changement climatique. C’est le lot de tout actif qui est remplacé par l’arrivée d’une nouvelle technologie disruptive. La création des logiciels de traitement de textes a par exemple dévalorisé les machines à écrire. De même, l’arrivée des téléphones portables a nuit au marché des lignes mobiles (ou du minitel !)

Cependant, le changement climatique crée de nouvelles situations qui conduisent certains actifs à se dévaloriser plus vite que prévu au moment de l’investissement. Particulièrement popularisés à partir des Accords de Paris en 2015, les stranded assets climatiques sont ceux dont l’utilisation n’est pas compatible avec l’objectif de limitation du réchauffement climatique à 2°C.

Il existe en effet plusieurs facteurs dans le contexte climatique qui peuvent transformer un actif en stranded asset :

Le stranding physique

Le changement climatique a provoqué ces dernières années une augmentation des catastrophes naturelles sans précédent. Selon l’OMM, l’Organisation Météorologique Mondiale, les pertes causées par ces catastrophes (sécheresse, ouragans, typhons, feux, etc.) ont même augmenté de 151% en 20 ans.

Un actif peut ainsi être détruit par un incendie ou un orage, et voir sa valeur diminuée ou réduite à zéro. Lors de la catastrophe Katrina, en 2005, c’est par exemple 20% des capacités de production américaine d’éthylène qui ont été touchées, à cause de la destruction partielle de certaines usines.

Le stranding dû à des changements réglementaires

Le changement climatique pousse également les Etats et les organismes mondiaux à mettre en place de nouvelles régulations pour lutter contre le réchauffement environnemental. Un actif peut donc devenir un actif échoué à cause d’un changement de législation qui rend son utilisation impossible.

Les parisiens connaissent l’exemple facile de la vignette Crit’air, qui empêche certaines voitures de circuler dans Paris intra-muros. Plus généralement, l’Union Européenne a voté la fin de la vente de voitures thermiques en 2035. Ainsi, les usines de voitures construisant uniquement des modèles thermiques ont vu leur valeur diminuer, car elles seront inutilisables plus tôt que prévu.

Le stranding économique

Le stranding économique peut être lié au stranding causé par des changements réglementaires. Le coût de fabrication ou d’utilisation de l’actif peut augmenter et le rendre inutilisable. On peut imaginer par exemple une taxe verte mise en place sur certains carburants qui rendraient inutilisables (ou moins profitables) les actifs qui les utiliseraient.

Stranded asset et risque de transition

Les stranded assets seront donc principalement ceux qui ne seront pas compatibles avec le monde bas carbone de demain. Le dérèglement climatique expose les actifs à un risque qu’on qualifie de risque de transition.

Afin de faire face à ce risque, il est important de se tenir au courant des potentielles évolutions réglementaires au sujet de l’environnement, surtout quand on opère dans un secteur qui y est largement exposé.

Quels sont les secteurs les plus exposés aux stranded assets ?

En première ligne, on retrouve les entreprises liées aux énergies fossiles, que ce soit pour l’extraction, le raffinage ou la distribution de ces-dernières. On dit par exemple que les mines de charbon, afin de respecter les accords de Paris, devraient s’arrêter de fonctionner 10 à 30 ans plus tôt que ce dont on a l’usage.

Logiquement, les entreprises qui utilisent intensément ces énergies sont également très exposées au risque d’échouage de leurs actifs. Il s’agit notamment des secteurs de la construction et du transport.

Un dernier secteur est également vulnérable au risque de stranded assets : il s’agit du secteur bancaire. Le secteur financier permettant de financer tous les secteurs sus-cités, il est directement impacté par les risques que portent ces derniers.

Quelles sont les conséquences potentielles des stranded assets pour le secteur bancaire ?

Du fait de leurs nombreux investissements, la richesse d’une banque repose principalement sur les actifs de son bilan. Ces derniers sont évalués comptablement, et font l’objet de réévaluation régulière.

Une banque perdrait de la valeur (et donc, de l’argent) si ses actifs devenaient des stranded assets. Il est donc primordial pour les banques de mesurer et de limiter leur exposition aux secteurs les plus sensibles aux risques de transition, comme les mines ou les exploitations pétrolières.

Si certains acteurs financiers (notamment les assurances) prennent ces questions très au sérieux, il est également important pour les banques de les prendre en compte. 

Dans une étude menée en 2019, l’ACPR, l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution, a souligné qu’environ 12% de l’encours global des banques françaises était investi dans des secteurs fortement exposés au risque de transition. De la même façon, 2,5% des actifs de ces banques sont placés dans des zones vulnérables au dérèglement climatique.

La réglementation du risque de transition dans le secteur bancaire

La réglementation pesant sur les établissements financiers est également de plus en plus lourde et cherche à conduire les banques à verdir leurs actifs.

L’autorité bancaire européenne a notamment appelé les banques à adopter le GAR, Green Asset Ratio. Cet indicateur permet de mesurer la part d’un portefeuille d’actifs investie dans des activités respectueuses de l’environnement.  Les banques devraient progressivement publier leur GAR à partir de 2024. 

La publication de cet indicateur s’inscrit plus largement dans toutes les mesures de reporting extra-financier qui concernent aussi bien le suivi des investissements verts que celui des émissions carbone par exemple.

Le concept de stranded asset nous permet de mieux comprendre les législations européennes en matière d’environnement : celles-ci n’ont pas pour unique but de contraindre les entreprises, mais bien également de les aider à faire face au risque de transition en prenant conscience de leur exposition au risque climatique et au risque de transition climatique. 

La décarbonation des secteurs les plus polluants ne peut se faire sans le suivi et l’impulsion du secteur bancaire et du secteur  financier. Leurs différents acteurs doivent réfléchir conjointement aux différentes actions à mettre en place pour limiter l’échouage de leurs actifs, et donc, pour tous, une perte de valeur.

Conclusion

L’actif échoué est donc un concept économique et financier particulièrement important dans  la prise en compte des risques liés au changement climatique. Lors d’une décision d’investissement, il est primordial de prendre en compte la dimension écologique de l’actif considéré afin d’évaluer correctement son retour sur investissement

Le secteur bancaire, partiellement exposé au risque de transition, doit mettre en place des mesures afin de limiter son risque et d’accompagner les autres secteurs vers un monde bas carbone.

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