Lorsque nous calculons des empreintes carbone, nos clients sont souvent surpris lorsque nous leur posons des questions sur les types de repas que leurs employés prennent habituellement à l’heure du déjeuner. Après tout, la façon dont les gens mangent est une affaire privée : l’entreprise n’a absolument rien à dire à ce sujet.
Pourquoi cela est-ce important alors ?
Bien que les habitudes alimentaires des gens soient essentiellement des choix personnels effectués par chaque personne, les entreprises soucieuses de la réduction des émissions de carbone devraient tout de même avoir un certain niveau de conscience à leur sujet. L’un des principes fondamentaux de la comptabilité carbone est que tous les flux physiques qui permettent à l’entreprise de fonctionner correctement doivent être comptabilisés. Dans le cas présent, cela doit inclure les repas des employés pendant leur journée de travail, quelle que soit la politique de l’entreprise en matière de repas : le poste habituel des employés à temps plein peut durer entre huit et dix heures, voire plus, et ils sont donc censés manger quelque chose pendant cette période pour se sustenter.
Ce point est crucial, d’abord parce que l’ensemble de l’industrie alimentaire représente 26 % des émissions de carbone dans le monde, ce qui en fait un point d’attention essentiel pour atteindre l’objectif « Net zéro » d’ici 2050.
Il s’agit évidemment d’une préoccupation directe pour les entreprises agroalimentaires, mais toutes les entreprises réceptrices doivent également en être conscientes. Certes, il est essentiel de garder le sens des proportions : dans une entreprise industrielle moyenne, la grande majorité des émissions de gaz à effet de serre provient de l’achat de matières premières, de leur transport et de la consommation d’électricité et de carburant des usines. Dans ce cas, les repas des employés ne seront qu’une goutte d’eau dans l’empreinte carbone totale de l’entreprise : ils seront tout de même inclus dans le calcul de l’empreinte carbone pour des raisons d’exhaustivité, mais ce ne sera pas une priorité, ni pendant le processus de collecte des données, ni dans le plan de décarbonation de l’entreprise.
La situation est toutefois très différente pour certaines entreprises de services – services informatiques, conseil… Ces secteurs n’ont généralement pas besoin de beaucoup d’équipements physiques pour fonctionner : seulement des bureaux, des ordinateurs et des serveurs. De ce fait, et en dehors de circonstances exceptionnelles – notamment de fréquents déplacements en voiture ou en avion – les repas peuvent représenter jusqu’à 40 % de l’empreinte carbone totale de ces entreprises. Dans ce cas, pour estimer leur empreinte carbone aussi précisément que possible, il est nécessaire de poser quelques questions sur les habitudes alimentaires des employés.
Comment mon entreprise peut-elle passer à l’action?
Deux variables principales influent sur les émissions carbone liées aux repas des employés : la manière dont les entreprises subventionnent les repas – si elles le font – et le type de repas pris par les employés.
Les cafétérias d’entreprise sont souvent appréciées des employés, mais elles peuvent aussi devenir particulièrement gênantes du point de vue de l’empreinte carbone. Dans de nombreux cas, pour satisfaire les employés, le traiteur peut être obligé de proposer plusieurs types de plats chaque jour, et de les avoir tous disponibles jusqu’à très tard dans le service. Il lui est impossible de prévoir avec précision le nombre de personnes qui viendront à chaque fois et le plat qu’elles préféreront, il doit donc dépasser les limites, quitte à avoir de nombreux restes de repas à la fin du service. Si aucune action spécifique n’est entreprise (par exemple, la vente de nourriture contre une ristourne à la fin du service, ou le don des restes), cette situation conduit à un gaspillage très important de nourriture.
L’autre aspect de l’équation est lié aux repas qui sont servis. La viande de bœuf (ainsi que la viande d’autres ruminants) est particulièrement émettrice pour deux raisons :
la quantité supplémentaire de culture nécessaire (il faut huit kilos de légumes pour obtenir un kilo de viande de bœuf),
les émissions directes de méthane qui se produisent lors de leur digestion.
De ce point de vue, les repas végétariens sont beaucoup plus efficaces : au total, ils émettent dix fois moins de CO2 à la production. Si l’on s’en tient aux repas à base de viande, il faut privilégier un repas à base de volaille, car il est beaucoup moins émissif qu’un repas à base de bœuf.
Outre les repas des employés, les collations et les boissons ont également leur importance. Pour donner quelques exemples concrets, un espresso émet 49 gCO2e (de la culture des grains de café à la préparation finale), et un grand café au lait émet jusqu’à 552 gCO2e, soit plus qu’un repas végétarien entier.
C’est pourquoi les sociétés de services qui veulent être soucieuses de l’environnement devraient se préoccuper de la nourriture servie ou consommée dans leurs locaux : les repas des employés représentent souvent la plus grande contribution relative à leur empreinte carbone, et selon le type de nourriture, il peut y avoir un très fort niveau de variation.
Conclusion
Les repas sur le lieu de travail peuvent être un sujet très sensible : au final, les moyens d’action de l’entreprise restent limités, puisque chaque employé est et doit rester responsable de ses préférences alimentaires. Cela dit, les entreprises doivent se rappeler que les repas des employés font toujours partie de l’empreinte carbone de l’entreprise, et que leur importance relative peut devenir significative pour les sociétés de services. En passant d’une moyenne de cinq repas à base de viande par semaine à seulement trois, ces entreprises peuvent réduire leurs émissions totales de carbone jusqu’à 10 %.
Dans tous les cas, pour réduire durablement les émissions de carbone des entreprises, il est important de sensibiliser les employés à la question des repas.
Sources
Our World in Data. 2022. Food production is responsible for one-quarter of the world’s greenhouse gas emissions. [online] Disponible ici: https://ourworldindata.org/food-ghg-emissions [10 février 2022].
Poore, J. and Nemecek, T., 2018. Reducing food’s environmental impacts through producers and consumers. Science, 360(6392), pp.987-992.
Berners-Lee, M., 2021. How Bad Are Bananas?: The Carbon Footprint of Everything.