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Les entreprises face à la neutralité carbone : compenser, est-ce suffisant ?

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Face à l’urgence climatique, de plus en plus d’entreprises s’engagent à atteindre la neutralité carbone. Mais qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Quelle est la différence entre compenser ses émissions de gaz à effet de serre et réellement contribuer à l’effort climat ? Quel terme doit être privilégié ? Quelle stratégie doit être adoptée par votre entreprise ?

L’essentiel 

 –   Le principe de la neutralité carbone réside dans un équilibre entre émission de gaz à effet de serre dans l’atmosphère et absorption par les puits. Mais comme le rappelle l’ADEME, ce terme n’a de sens qu’au niveau de la planète. Une entreprise qui se déclarerait neutre en carbone s’exposerait au risque d’être accusée de greenwashing.

–   Pour les entreprises, il est essentiel de réduire autant que possible leurs émissions de gaz à effet de serre et de compenser les émissions résiduelles. Le projet Net Zero Initiative, initié en juin 2018 et porté par Carbone 4 en collaboration avec une dizaine d’entreprises pionnières a publié notamment un guide de référence pour les organisations qui souhaitent contribuer efficacement à la neutralité carbone.

–   Une stratégie de « contribution carbone » est à préférer à celle de « compensation carbone ». En effet, compenser n’est plus suffisant au regard de l’urgence climatique, les entreprises doivent avoir un engagement complet, avec comme objectif principal la réduction de leurs propres émissions. 

Qu’est-ce que la neutralité carbone ?

La neutralité carbone est définie comme un équilibre entre les émissions anthropiques de carbone et les absorptions par les puits de gaz à effet de serre. Afin d’atteindre le « zéro net émission », les émissions de gaz à effet de serre doivent être compensées par la séquestration du carbone.

En signant les Accords de Paris en 2015, les pays participants se sont engagés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Le but est de limiter à 2°C le réchauffement climatique au cours de ce siècle et, si possible, à seulement 1,5°C, seuil que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) juge nécessaire de viser.

Le défi est donc de taille pour les sociétés humaines et demande à ces dernières des efforts collectifs importants :

–   Réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre. Or malgré la mise en place de politiques de lutte contre le réchauffement climatique, les émissions continuent de croître.

–   Augmentation des puits naturels de carbone (afforestation et reforestation) et conception de puits de carbone « technologiques » ou « anthropiques » artificiels. En effet, on estime que les puits naturels captent entre 9,5 et 11 gigatonnes de CO2 par an, soit seulement un tiers des émissions mondiales annuelles actuelles. Le reste s’accumule donc dans l’atmosphère et contribue au réchauffement climatique.

Face à l’urgence climatique, des transformations rapides et profondes des modes de vie, de consommation et de production s’imposent, sur les deux plans. Depuis quelques années, l’utilisation du terme de neutralité carbone est de plus en plus fréquente, notamment au sein du secteur privé. 

“Neutralité carbone”, un terme à prendre avec des pincettes ?

Mais peut-on réellement parler d’entreprises « neutres en carbone » ? L’ADEME (Agence de l’Environnement) est très claire à ce sujet : « L’objectif de neutralité carbone n’a donc réellement de sens qu’à l’échelle de la planète. »

La neutralité carbone d’une entreprise est un concept très discutable. En effet, pour contribuer à la neutralité carbone, les entreprises ont recours à une méthodologie en trois étapes « Mesurer, Réduire et Compenser » qui présente d’importantes limites théoriques et pratiques.

D’une part, les déclarations de neutralité carbone par une entreprise sont souvent très limitées, car elles ne sont pas fondées sur un bilan carbone complet. Par exemple, Google prétend être neutre en carbone, mais cette déclaration ne couvre que l’énergie utilisée par les employés de Google, c’est-à-dire principalement l’électricité des data centers.

Or, Google tire ses revenus des publicités envoyées aux milliards de personnes qui utilisent leurs services : le réseau Internet et les ordinateurs ou téléphones de ces utilisateurs émettent énormément de CO2.Autrement dit, l’activité de Google est responsable de façon indirecte de ces émissions de  CO2 : elle n’est donc pas neutre en carbone. Pour l’être, il faudrait que l’électricité consommée par ces milliards d’utilisateurs soit entièrement verte, ce qui ne peut être accompli qu’avec un effort collectif massif.

D’autre part, l’idée de neutralité carbone encourage les entreprises à compenser plutôt qu’à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.

Ceci est lié au fait qu’il est bien plus dur et souvent plus coûteux à court terme pour une entreprise de repenser tout une chaîne de production moins polluante que « d’annuler » ses gaz à effet de serre par des actions immédiates de compensation. Là réside le problème de la compensation carbone

Qu’est-ce que la compensation carbone ?  

La compensation carbone consiste à contrebalancer ses propres émissions de gaz à effet de serre via des projets de réduction d’autres émissions ou de capture et de séquestration du carbone.

Initiée par le protocole de Kyoto en 1997, cette démarche est présentée comme l’un des outils disponibles pour atteindre la neutralité carbone dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique.

Elle s’appuie sur le principe d’universalité du CO2 qui stipule que l’action des gaz à effet de serre est globale. Quel que soit le lieu où le CO2 a été émis, il a le même effet sur le climat. De même, diminuer les émissions en un lieu ou un autre présente le même intérêt pour la planète.

Ainsi les émissions de CO2 peuvent théoriquement être compensées par une réduction des émissions ou une capture en n’importe quel lieu.

Les projets financés dans une démarche de compensation carbone peuvent porter sur les énergies renouvelables (installation de sources de production d’énergie renouvelable), les forêts et l’usage des terres (reforestation et gestion des terres), l’efficacité énergétique, etc.

L’entreprise engagée acquiert alors des « unités carbone » auprès d’un organisme certifié qui correspondent au volume de CO2 évité ou séquestré. Une unité carbone équivaut généralement à une tonne de CO2 évitée par le projet financé.

Il est à noter que la compensation carbone est encadrée par des règles strictes et des standards de référence, comme le Gold Standard développé par WWF. 

Pourquoi la compensation carbone ne suffit-elle pas ?  

Malgré ses bénéfices, la compensation carbone fait l’objet de nombreuses critiques. En effet, la compensation carbone permettrait aux entreprises de se dédouaner et d’occulter le levier prioritaire à activer qui est la réduction des émissions de gaz à effet de serre. La compensation ne peut suffire à atteindre l’objectif de 2°C maximum, et encore moins l’objectif de 1,5°C.

En effet, l’approche qui vise une neutralité carbone arithmétique, c’est-à-dire atteinte par une compensation carbone, permet aux entreprises de se conforter dans leur modèle actuel et de ne pas remettre en cause leur source de production de CO2. Elle masque alors le fait qu’il existe de nombreux leviers d’actions sur le périmètre d’activité de l’entreprise. Alors même que toutes les entreprises doivent agir si l’on veut atteindre les objectifs.

On peut également mettre en doute la pertinence des projets de compensation carbone, par exemple celui mis en place par la Californie. En effet, le potentiel de compensation carbone générée par les forêts pour contrer les futures émissions de gaz à effet de serre des grands pollueurs de Californie s’épuise rapidement à cause de la multiplication des incendies et des maladies. Parfois les projets de compensation se transforment en émetteurs nets de carbone, par exemple lorsque les forêts plantées brûlent à cause du changement climatique.

S’appuyant sur la compensation carbone pour justifier l’utilisation systématique du terme de « neutralité », les entreprises s’exposent au risque d’être accusées de « greenwashing ». Par ailleurs, ce matraquage trompeur brouille le message et empêche le consommateur de repérer les acteurs qui s’engagent réellement. 

 Que signifie alors la contribution carbone ? 

Pour pallier ces incohérences, Carbone 4 a développé l’initiative Net Zéro en 2018. Elle vise à accompagner les entreprises dans leur transition bas carbone en proposant un langage et un cadre d’action communs.

Le référentiel propose de renoncer à l’idée de compensation, jugée contre-productive, et de la remplacer par la « contribution ». Alors que la compensation sous-entend qu’il est possible pour une entreprise d’être neutre en carbone toute seule, en achetant suffisamment de crédits carbone, le terme de contribution reconnaît que la neutralité carbone est un effort collectif, et passe avant tout par la réduction de ses propres émissions.

L’initiative Net Zero définit ainsi un plan d’action durable en vue d’aider les entreprises à maximiser leur contribution à la neutralité carbone mondiale :

–   Réduire l’empreinte carbone directe et indirecte

–   Éviter et aider à réduire les émissions des autres acteurs grâce à la vente de produits et services décarbonés et au financement de projets d’évitement

–   Contribuer à l’augmentation des puits de carbone dans et hors la chaîne de valeur 

Pourquoi préférer la contribution carbone à la compensation carbone ? 

L’initiative Net Zero pose donc la première pierre vers une harmonisation des termes et des concepts utilisés et donc vers une action climat ambitieuse et efficace du secteur privé. Elle redonne aux entreprises l’élan pour se concentrer sur le réel levier d’action, la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Afin d’agir sur les émissions résiduelles qui restent après le bilan carbone, les entreprises peuvent ensuite compléter leur engagement en aidant d’autres acteurs à réduire leurs propres émissions de carbone.

La contribution carbone invite donc les entreprises à déclencher l’action sur l’ensemble de sa chaîne de valeur. En inscrivant l’action de l’organisation dans une telle logique, les entreprises aident réellement à atteindre l’objectif de neutralité mondiale.

Conclusion

Ainsi, les entreprises ne doivent pas seulement chercher à compenser leurs émissions de gaz à effet de serre pour annuler leur empreinte carbone, mais avant tout à réduire leur propre empreinte carbone, afin de contribuer véritablement à l’effort climatique.

Si vous souhaitez penser votre contribution carbone, en commençant à diminuer dès aujourd’hui votre empreinte carbone, contactez-nous pour réaliser votre bilan carbone.

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