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Décarboner le secteur de la mode : enjeux et pistes d'action

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Comprendre les enjeux de la mode

La mode est l’un des secteurs d’activité les plus importants au monde. Elle emploie plus de 75 millions de personnes et génère un chiffre d’affaires de 2 000 milliards de dollars par an. En outre, il s’agit d’un secteur en pleine expansion. L’essor de la fast fashion ces dernières années a provoqué une forte augmentation du nombre de vêtements vendus chaque année. De 60 milliards d’unités vendues en 2000, les ventes ont presque doublé pour atteindre 100 milliards d’unités en 2015.

Les impacts de la mode se font sentir à plusieurs niveaux : utilisation de l’eau, conditions de travail, biodiversité, etc. La mode est une industrie gourmande en ressources qui a besoin de grandes quantités de matériaux non renouvelables et qui génère de grandes quantités de déchets. Si l’on se concentre sur les émissions de gaz à effet de serre (GES), son impact est on ne peut plus clair : le secteur a émis 2 milliards de tonnes de GES en 2018, soit 4% des émissions totales dans le monde. En d’autres termes, la mode a émis plus de GES que la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni réunis. La mode est l’une des industries les plus polluantes au niveau mondial.

Au travers de l’Accord de Paris de 2015, les gouvernements se sont engagés à limiter l’augmentation de la température mondiale à bien moins de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et à poursuivre les efforts pour limiter le réchauffement à 1,5°C. En 2018, le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) a averti que le réchauffement de la planète ne devait pas dépasser 1,5°C par rapport aux températures préindustrielles pour éviter les effets catastrophiques du changement climatique.

En tant que contributeur important au changement climatique, l’industrie de la mode doit agir maintenant pour réduire ses émissions de GES. Les recherches montrent que si le secteur maintient le même rythme de décarbonation, ses émissions en 2030 seront deux fois plus élevées que le maximum requis pour rester sur la trajectoire de 1,5 degré.

Cet article examine les actions concrètes qui peuvent être prises par l’industrie pour décarboner sa production. Tout d’abord, nous analysons et présentons les processus les plus intensifs en carbone de la chaîne de valeur de l’industrie. Puis, à travers l’analyse de certaines marques soucieuses du climat, nous illustrons les stratégies de réduction des émissions de GES

Pourquoi ce secteur émet-il autant ?

Comme mentionné ci-dessus, la mode a émis 2 milliards de tonnes de GES en 2018. Les grands détaillants prennent des mesures et rejoignent divers engagements pour décarboner leurs émissions directes. Les émissions directes des détaillants sont principalement liées à l’énergie consommée pour faire fonctionner les magasins, les entrepôts et les bureaux. De nombreux détaillants se sont engagés à atteindre des « émissions nettes nulles » pour leurs opérations directes avant 2030.

Si ces efforts vont dans le bon sens, le graphique ci-dessous montre leurs limites. Les émissions de chaque détaillant sont ventilées en fonction de leur portée, conformément au GHG Protocol. Les scopes 1 et 2 regroupent les émissions causées par les actifs détenus par l’entreprise et l’achat d’électricité. Le scope 3, quant à lui, correspond aux émissions indirectes hors achat d’électricité. On les trouve en amont et en aval de la chaîne d’approvisionnement de ces entreprises. Comme le montre le graphique ci-dessous, les émissions du scope 3 des grandes marques et des détaillants tels qu’Adidas, Burberry, Gap, H&M, Inditex ou Nike représentent la grande majorité de leurs émissions, c’est-à-dire entre 90 et 99%.

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Les données sont claires : le seul moyen pour les détaillants de mode de renforcer leur stratégie de décarbonation est de travailler sur leur chaîne d’approvisionnement, c’est-à-dire sur leurs émissions de scope 3.

Ces postes d’émissions sont nombreux, mais Carbometrix a identifié les trois domaines les plus importants où la décarbonation doit avoir lieu :

  • Production de matériaux (environ 40% des émissions du secteur) : que les fibres soient naturelles (coton, laine,..) ou synthétiques (polyester, élasthane,..), les processus de production sont très émissifs.

  • Transformation du produit (environ 35%) : les étapes de la transformation de la fibre en vêtement (teinture, coupe, couture..) nécessitent de grandes quantités d’énergie.

  • Utilisation du produit (environ 20%) : l’entretien d’un vêtement par les consommateurs nécessite de l’énergie pour le lavage, le séchage, le repassage, etc.

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Ces trois grandes catégories sont responsables de 95 % des émissions du secteur. D’autres parties de la chaîne de valeur ont attiré beaucoup d’attention, comme les transports ou la logistique. Si ces catégories sont également importantes, les parties prenantes doivent garder à l’esprit les ordres de grandeur. Il est urgent que les entreprises et les consommateurs agissent pour décarboner avant tout la production, la transformation et l’utilisation des vêtements. 

Heureusement, les entreprises innovantes n’ont pas attendu pour prendre les devants sur ces sujets. La section suivante met en lumière les actions d’entreprises soucieuses du climat pour décarboner leur activité.

1083: produire des jeans entièrement recyclés et recyclables

1083, dont le nom fait référence à la plus longue distance en km entre deux villes de France, a été créé en 2013 avec l’objectif de relocaliser en France chaque étape nécessaire à la production de jeans. L’entreprise a été un pionnier de la mode durable, s’approvisionnant en matériaux responsables depuis sa création.

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En 2018, 1083 a poussé son engagement un peu plus loin. Elle a lancé  « le jean infini » : un jean 100% recyclé et recyclable. Vendu par un système de consigne obligatoire (les consommateurs récupèrent une partie de leur argent s’ils rapportent le jean), ce jean est composé exclusivement de polyester recyclé. Cela permet à 1083 de réduire drastiquement l’empreinte carbone de ce produit et d’ajouter plus de circularité à son modèle. 

Patagonia: adapter les processus opérationnels pour décarboner la production

Les procédés de teinture conventionnels (utilisant des colorants synthétiques) nécessitent de grandes quantités d’eau et d’énergie, ce qui entraîne des déchets et des émissions de GES. Patagonia a adopté la « teinture en solution » pour une sélection de ses produits; une approche qui permet de réduire la consommation d’eau et les émissions de CO2e. Par rapport à la teinture conventionnelle, cette technique permet de réduire jusqu’à 95 % les émissions de GES relatives à ce poste.

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Cette technique présente certains inconvénients par rapport aux techniques de teinture traditionnelles. Jusqu’à présent, Patagonia a appliqué ce procédé à certains produits spécifiques. La marque a également investi des ressources dans la recherche d’autres techniques de teinture faiblement émissives et a mis en place des politiques rigoureuses d’économie d’énergie. 

FAGUO: sensibiliser les consommateurs

Lancée en 2009, FAGUO (« français » en chinois) est une marque de vêtements dont la mission est d' »engager notre génération contre le réchauffement climatique ». Devenue une « entreprise à mission » selon la loi française, les objectifs de FAGUO peuvent être résumés comme suit : transparence, éducation et réduction des émissions de carbone. La marque a lancé de multiples initiatives pour éduquer ses clients à la mode équitable et au changement climatique.

Dans chaque point de vente FAGUO, les clients trouveront des corners de seconde main où ils pourront vendre leurs vêtements FAGUO usagés. Ils y trouveront également des boîtes de recyclage. FAGUO encourage ses clients à « consommer moins mais mieux » : elle organise des ateliers de réparation bimensuels pour ses clients et met régulièrement en ligne des articles sur la manière de prendre soin de ses vêtements. La Fondation Ellen MacArthur explique que « si le nombre de fois qu’un vêtement est porté était doublé, les émissions de GES seraient inférieures de 44% ». Ces initiatives donnent aux clients des possibilités concrètes de réduire l’empreinte carbone de leurs propres vêtements.

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Conclusion

Les conclusions de cet article sont claires. Premièrement, la mode est un secteur fortement émissif qui doit de toute urgence réduire son impact sur l’environnement. Deuxièmement, certaines entreprises commencent à agir, en cherchant des moyens de réduire l’empreinte de leurs produits. 

Il est essentiel de trouver de nouveaux modes de consommation pour décarboner le secteur de la mode. Toutes les parties prenantes doivent agir, des fabricants aux utilisateurs finaux. La façon dont les vêtements sont fabriqués, transformés et utilisés doit s’adapter à la transition. L’industrie doit adopter les notions de circularité, de réparabilité et de durabilité. Ces changements ouvriront la voie à des modèles économiques plus durables, à des chaînes d’approvisionnement renouvelées et permettront à terme la décarbonation de l’industrie de la mode.

Sources

https://unece.org/forestry/press/un-alliance-aims-put-fashion-path-sustainability

Euromonitor International Apparel & Footwear 2016 Edition (volume sales trends 2005–2015); World Bank, World development indicators – GD (2017)

https://www.mckinsey.com/~/media/mckinsey/industries/retail/our%20insights/fashion%20on%20climate/fashion-on-climate-full-report.pdf

https://sciencebasedtargets.org/about-us

https://emf.thirdlight.com/link/2axvc7eob8zx-za4ule/@/preview/1?o

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